Pays de montagnes et de steppes, la République Populaire de Mongolie s'étend sur une superficie de 1 500 000 km² entre l'U.R.S.S. et la Chine. Sa population d'environ 1 850 000 habitants se compose aux trois quarts de Mongols Khalkha et assimilés (Khotogoïd) et pour le reste de Bouriates et de Darkhat au nord, d'Oïrat ou Mongols occidentaux (dont les Torgout) à l'ouest et enfin de groupes ethniquement non mongols : Toungouses, Kazakh, Ouriankhaï et Touva. Très marquée par le nomadisme et le pastoralisme, la culture mongole reflète également les vestiges des anciennes religions chamanique et lamaïque notamment à travers les grandes fêtes communautaires dont la lutte, le tir à l'arc et les courses de chevaux sont les points culminants. Aspect privilégié de la musique mongole, l'art vocal se caractérise par sa variété de styles, ses multiples fonctions sociales et son répertoire. Comme dans la plupart des sociétés nomades et pastorales, le chant pratiqué par tous, joue un rôle prépondérant. Il trompe l'ennui durant les longues heures passées à chevaucher ou à garder le bétail, il accompagne la traite et les diverses activités domestiques, enfin il est présent dans toutes les réunions familiales, amicales et lors des fêtes et des cérémonies communautaires. Toute réunion ne requiert pas forcément la présence de chanteurs spécialisés, il existe toutefois une classe de bardes semi-professionnels tuulchi, gardiens de la tradition épique tuuli et du chant de louanges magtaal. Les thèmes traités dans la musique vocale mongole sont étroitement liés aux conditions de la vie nomadique.
Maintes références sont faites au cheval, à la chasse et à la nature en général. Les thèmes amoureux prédominent, amour de la bien-aimée, amitié, amour du cavalier pour son cheval et sont traités sur un ton lyrique empreint selon les cas de nostalgie, d'ironie ou d'éloge.
Les Mongols distinguent trois styles d'émission vocale. Le premier, khaylakh (litt. "crier"), utilisé par les hommes dans le chant épique tuuli et les chants de louanges magtaal, se distingue par son mode récitatif, son registre grave et son timbre rauque.
Le second duulakh "chanter" ou ayalakh "mélodieux", est le style chanté proprement dit. Il est utilisé dans le chant long, dans le chant court et dans certains magtaal. La voix, claire et tendue, se soumet selon le type de répertoire à diverses techniques ornementales.
Le troisième enfin, khöömii "pharynx", regroupe toutes les techniques de voix diphonique. Le khöömii est l'émission simultanée d'un son fondamental ou bourdon, dans le style khaylakh et d'une mélodie composée de sons harmoniques sélectionnés grâce à diverses techniques pharyngales et buccales. Sur les six techniques recensées, ce disque en présente trois : tseedjnii khöömii ou khöömii de poitrine, au bourdon relativement aigu et clair (sol ²) ; bagalzuuriin khöömii ou khöömii de gorge, au bourdon moyen et rauque (ré ²) ; kharkhira khöömii, qui fait appel aux résonanteurs de poitrine et dont le bourdon se place une octave plus bas que dans le bagalzuuriin khöömii (ré 1). Peu pratiqué par les femmes, le khöömii n'a pas de répertoire propre. On le chante généralement sur des mélodies de chants courts de chants populaires, ou encore en interlude dans les chants de louanges magtaal.
Le chant long urtyn duu, exécuté à cappella ou avec un accompagnement à la vièle morin khuur, est un chant strophique lent, non mesuré, dont la structure et le texte mêlé de syllabes vides, sont masqués par de longues phrases vocalisées et richement ornementées. Sa tessiture couvre aisément deux octaves et demie et les femmes y exploitent volontiers le passage de voix de poitrine en voix de tête. Chaque note est ornée de glissandi, d'appoggiatures, de trilles normaux ou yodlés et de vocalises.
Le chant court bogino duu est un chant strophique, syllabique et peu ornementé. Sa forme régulière résulte du découpage des strophes en vers de quatre mesures à 4/4. Il est généralement accompagné à la vièle morin khuur ou par un petit ensemble instrumental réunissant un morin khuur, une vièle khuuchir et un luth shanz. Les diverses populations de Mongolie cultivent également des traditions vocales populaires artyn duu qui, sans appartenir précisément aux formes du chant long ou du chant court, s'en rapprochent par le style.
Le magtaal ou chant de louanges, est un chant syllabique proche par son style du chant épique. Les strophes se composent d'un nombre variable de vers chantés sur des motifs d'une ou deux mesures à 4/4. D'un vers à l'autre, ces motifs peuvent subir des variations ou des transpositions mélodiques. Le magtaal est généralement accompagné au luth tobshuur ou à la vièle ekhel.
L'instrumentarium mongol présente une prééminence évidente des instruments à cordes, vièles, luths et cithares. Utilisés en solo ou en petits ensembles leur fonction principale est l'accompagnement du chant et de la danse.
L'instrument à cordes principal est le morin khuur ou "vièle à tête de cheval". La caisse de résonance trapézoïdale, autrefois recouverte de peau, est aujourd'hui munie d'une table d'harmonie en bois. Les deux cordes sont en crin de cheval. Le manche est surmonté d'un chevillier sculpté en forme de tête de cheval ou de dragon. Les doigts de la main gauche se posent sur les cordes de diverses manières : verticalement avec la pulpe (annulaire et auriculaire), ou latéralement avec l'ongle (index et majeur) de manière à donner plus de précision aux glissandi et aux ornements et faciliter l'émission de sons harmoniques.
De facture plus primitive que le morin khuur, l'ekhel est une vièle à deux cordes en crin dont la caisse trapézoïdale est recouverte d'une peau de chèvre ou de mouton. Instruments exclusivement masculins, le morin khuur et l'ekhel accompagnent le chant et la danse, ou peuvent être utilisés en solo, notamment pour attendrir les chamelles refusant d'allaiter.
La vièle khuuchir d'origine chinoise se compose d'une petite caisse cylindrique ou polygonale recouverte d'une peau de mouton ou de serpent et d'un manche de bambou sur lequel sont tendues deux cordes en boyau ou en soie.
Le shanz également d'origine chinoise est l'instrument privilégié des femmes. Il s'agit d'un luth à long manche dont les trois cordes sont pincées avec un plectre. Le luth à deux cordes tobshuur est l'instrument des bardes. Sa caisse naviforme est recouverte d'une peau de chèvre ou de mouton.
La musique instrumentale comprend des adaptations de chants populaires ou de chants courts et un répertoire de tatlaga pour morin khuur ou ekhel. Ces courtes pièces jouées en solo ou pour accompagner la danse (byelekh), se composent de plusieurs sections ayant chacune leur mètre (2/4, 3/4, 4/4, 6/8) et leur tempo propres. Chaque section, formée de la répétition d'un motif court joué sur les deux cordes, illustre un bruit de la nature ou une allure du cheval. La tatlaga peut selon les cas être précédée d'un prélude lent, non-mesuré et richement ornementé, dans le style du chant long.
Le langage musical mongol est fondé sur le pentatonique anémitonique. Ce système, qui comprend cinq degrés principaux et deux degrés complémentaires flottants dont la fonction mélodique est surtout ornementale, peut apparaître sous cinq mode différents (voir figure ci-dessous). L'analyse des pièces mongoles présentées dans ce disque fait apparaître une nette prédominance des modes I et IV et une utilisation plus exceptionnelle des modes II et V. De plus chaque mode est caractérisé par deux degrés pivots dont la fonction structurelle dans l'articulation de la mélodie est mise en valeur par leur prégnance mélodique dans les incipits et les cadences, leur stabilité dans les diverses variations d'un motif et leur fonction commutative dans la transposition des figures mélodiques.
Outre les particularités mélodiques propres à chaque genre musical mongol, on peut noter quelques caractéristiques générales : l'utilisation limitée des degrés complémentaires, des sauts d'intervalles importants (de la quarte à la neuvième) et une nette prédilection pour les progressions ascendantes par mouvements conjoints et descendantes par mouvements disjoints.
Le système métrique mongol fonctionne sur la base de mesures binaires à 2/4, 3/4 ou 4/4 et de mesures ternaires à 6/8 ou 12/8. La composition des chants syllabiques et des pièces instrumentales mesurées révèle une structure régulière et une tendance à la symétrie, tout en évitant l'écueil de la monotonie grâce à une jeu subtil de décalages et d'enjambements. Leur architecture qui procède par emboîtements résulte de la mise en oeuvre du principe de carrure à chaque niveau de division du morceau et d'une organisation dualiste des motifs (question/réponse) qui s'appuie sur la relation d'opposition et d'attraction des degrés pivots. Les morceaux comprennent généralement plusieurs strophes qui se découpent en deux ou quatre phrases, composées chacune de deux ou quatre mesures. (Pierre Bois)
Collection dirigée par Françoise Gründ. Textes original en français de Pierre Bois. Traduction anglaise de Joséphine de Linde. Prise de son et enregistrement numérique réalisés à la Maison des Cultures du Monde par Pierre Simonin les 15 et 17 novembre 1988. En couverture, dessin original de Françoise Gründ. Photographies, Jean-Paul Dumontier. Montage, Translab. Réalisation, groupe media international.
Record writer
Desprez, Monique
Last modification
Dec. 30, 2022, 4:54 p.m.
Archiver notes
J. Saadoune, 2022 : Description et métadonnées complétées dans la collection et les items depuis les informations recueillies sur le livret du disque.