La tradition musicale savante d'Azerbaïdjan est sans doute l'une des plus importantes et des plus vivantes de l'immense région où, des rivages de la mer Noire aux confins du désert de Gobi, s'est développé depuis plusieurs siècles l'art modal du maqam (mugam en langue turque azeri). De même que le maqam arabe, turc et persan et byzantin qu'élaborèrent à partir du XIe siècle le théoricien al-Farabi et ses successeurs. La parenté qui dans l'histoire a uni les cultures musicales du Moyen Orient et du Caucase n'exclut cependant pas les différences. Ainsi, si les Azerbaïdjanais utilisent comme les Iraniens le luth târ, la vièle kemanche et le tambour sur cadre daf, ils onbt abandonné en revanche la cithare santur, la flûte oblique nay et le luth arabo-turc 'ud. De même, on constate que les noms des modes, souvent puisés dans un répertoire de toponymes et d'ethnonymes, recouvrent des réalités musicales bien différentes d'un région culturelle à une autre. Ces différences résultent de contraintes historiques, à savoir deux grandes périodes de décadence : la première au XIVe siècle lors des invasions mongoles et la seconde au XVIIIe siècle lorsque les religieux shi'ites profitèrent de la proclamation par la dynastie séfévide du shi'isme comme religion d'Etat, pour assurer une reprise en main du pays. Ainsi, à plusieurs reprises, les diverses populations d'Iran et du Caucase durent rebâtir leurs propres systèmes musicaux à partir des vestiges épargnés par l'Histoire. Réémergeant au XIXe siècle, la musique savante azerbaïdjanaise dut, pour survivre, s'imprégner de diverses caractéristiques populaires, simplification des lignes mélodiques et des rythmes, tempi plus rapides, qui devaient marquer dès lors sa différence avec la musique iranienne. Ce XIXe siècle fut néanmoins une grande période d'essor musical. Dans les grandes villes de Tiflis, Shusha, Bakou, on vit se constituer des associations d'amateurs, se fonder des conservatoires et des théâtres et se développer le mécénat. Très vivace, la tradition savante d'Azerbaïdjan ne semble pas connaître le problème de "relève". Alem Kassimov, formé à l'école du maître Bahram Mansurov, en donne un exemple remarquable : à 32 ans, il est reconnu aujourd'hui comme l'un des plus éminents chanteurs azerbaïdjanais, tant sont appréciés la qualité, la finesse et le registre de sa voix. On l'entendra ici accompagné par les joueurs de târ et de kemanche Elkhân et Malik Mansurov, fils de B. Mansurov et tous deux issus d'une lignée fameuse de musiciens et de mécènes de Bakou. Comme touyrd les musiques savantes du Moyen-Orient, celle d'Azerbaïdjan est monodique et modale, elle offre par ailleurs une large place à l'improvisation. Toutes les mélodies, qu'elles soient composées ou improvisées, de rythme libre ou mesurées, se déroulent dans le cadre d'un ou plusieurs modes (mugam) ayant chacun leur expressivité spécifique (sentiment modal). Les mugam sont classés en douze modes principaux ou dastiakhi et plusieurs modes secondaires. Chaque mode principal sert de base à une vaste composition vocale et instrumentale également appelée mugam et qui se compose d'un cycle de mélodies-modèles, véritables "cartes d'identité" mélodiques du mode, de pièces mesurées et d'improvisation vocales. Si le cadre de ces compositions demeure assez souple et offre une grande liberté à l'interprète, celui-ci se doit néanmoins d'en avoir intégré toutes les règles formelles. C'est à cette condition qu'il peut déterminer le degré de liberté lui permettant de se renouveler sans pour autant dénaturer le sentiment propre au mode. Au mugam proprement dit, peuvent venir s'ajouter des chansons ou tesnif et diverses pièces instrumentales (reng, diringa) dont le style léger et dansant revêt un caractère plus populaire. Les instruments de musique qui accompagnent le chanteur sont le târ, luth à trois rang de doubles cordes dont la caisse affectant la forme d'un huit est recouverte de peau de poisson, le kemanche, vièle à pique à trois ou quatre cordes et le daf, tambour sur cadre muni d'anneaux métaliiques joué ici par le chanteur. Le style vocal quant à lui est remarquable par sa flexibilité et sa précision quasi-instrumentale dans les moindres variations d'intervalles et dans la réalisation extrêmement complexe des ornements.
Collection dirigée par Françoise Gründ. Prise de son et enregistrement réalisés par Pierre Simonin à la Maison des Cultures du Monde les 11 mai 1989. Textes de Pierre Bois. Traduction anglaise de Joséphine de Linde. En couverture, dessin original de Françoise Gründ. Photographies, Jean-Paul Demontier. Montage, Translab. Réalisation, groupe media international. Direction, Chéri Khaznadar.
Record writer
Monique Desprez ; Pribislav Pitoeff
Last modification
Dec. 29, 2022, 8:39 p.m.
Archiver notes
J. Saadoune, 2022 : Description et métadonnées complétées dans la collection et les items depuis les informations recueillies sur le livret du disque.