Pouvoir d'évocation, pouvoir de fascination de cette musique dont l'origine se perd dans un passé très lointain et l'évolution se confond avec l'histoire de l'Epire voire celle de la Grèce :
- chants épiques relatant de manière plus ou moins romancée les évènements qui ont marqué la vie de la région.
- chants lyriques dont Amour, Exil et Mort se partagent équitablement le répertoire.
- musique instrumentale pour danser ou pour pleurer.
Cette tradition orale a survécu grâce aux musiciens populaires - le plus souvent gitans sédentarisés depuis des générations - qui l'ont transmise de père en fils et l'ont gardée vivante, ou presque, jusqu'à cette deuxième moitié du XXe siècle.
Obligatoirement présents dans toutes les manifestations de la vie collective des villages, qu'elles soient privées (naissance, mariage, deuil) ou publiques (fêtes religieuses et villageoises), ces musiciens occupent une place à part dans la société rurale : admirés, adulés en tant qu'artistes, ils sont en même temps objet de méfiance sinon de mépris dans la vie quotidienne.
Tant les artistes qui ont réalisé ce disque que les pièces interprétées obéissent aux modèles "traditionnels" décrits ci-dessus. Fils et petits-fils de musiciens autodidactes, les Kapsalis appartiennent à différentes branches d'une même famille gitane établie dans plusieurs villages de Zagori depuis des générations. L'ensemble qu'ils forment Takoutsia a été créé bien avant la seconde guerre mondiale par les trois derniers (Kostas, Spiros et Zoulis Kapsalis). Grigoris Kapsalis de loin le plus jeune est venu se joindre à eux il y a une trentaine d'années. Leur répertoire est immense et ils sont, probablement, les derniers gardiens de la "tradition" dans le sens où ils assument à la fois la responsabilité du rituel des Panigyria (fêtes villageoises) et du "bon ordre" des cérémonies et des danses.
Curieusement, ce disque est leur premier vrai enregistrement et, malheureusement, leur dernier témoignage public en tant que groupe car Zoulis s'est déjà retiré (il ne joue d'ailleurs que dans le chant de table - face B.4) et les deux autres vétérans Kostas et Spiros, ne jouent plus qu'à de rares occasions. Reste, bien-sûr, Grigoris, qui participe toujours activement à de nombreuses manifestations tant populaires que culturelles et qui s'efforce, en outre, de sauvegarder au moins la lettre, sinon l'esprit, de ce répertoire oral en en faisant transcrire la musique.
Ce disque présente trois catégories de musique traditionnelle : musique funéraire, Miroloï, musique de danse et chants de table.
Les deux premières catégories font appel à des formations instrumentales : le Miroloï est exécuté par une clarinette, un violon et un luth, auxquels s'ajoute, pour la musique de danse, un tambourin qui en souligne la structure rythmique. Pour l'exécution des chants de table, on a recours à une seconde clarinette qui remplace en partie la première puisque, dans ce répertoire, le premier clarinettiste se transforme en chanteur.
Comme dans l'ensemble des Balkans et dans la majeure partie du bassin méditerranéen, les échelles qui sous-tendent les mélodies de l'Epire sont de type modal. Dans bien des cas, certains des degrés de ces échelles sont mobiles, c'est-à-dire se déplacent légèrement selon que la ligne mélodique est ascendante ou descendante. Autres caractéristiques : la transition d'un mode à un autre au sein d'un même morceau a pour effet de susciter un changement d'atmosphère sonore ; enfin, l'ornementation - le plus souvent imprivisée - qui rend plus dense la texture de la mélodie.
Dans ces musiques, l'organisation du temps procède de trois manière : soit le flux rythmique est libre, c'est-à-dire n'est pas tributaire d'un ordonnancement métrique régulier (c'est le cas du Miroloï) ; soit le rythme prend appui sur des matrices prédéterminées et très rigoureusement étalonnées (ce sont les musiques de danse) ; soit les deux types précédents alternent : c'est ce qui caractérise les "chants de table".
Edition de 1987 en disque 33 t (3S) ; Ø 30 cm, cote CNRSMH_E_1987_015_003 conservé au Crem.
Comments
Textes Simha Arom et Tatiana Yannopoulos. Traductions : Anglais : Joséphine de Linde. Documents recueillis en Epire en 1984 et 1985, au cours de deux missions effectuées pour le Laboratoire de Langues et Civilisations à Tradition Orale du C.N.R.S (Centre National de la Recherche Scientifique, Paris). Collection dirigée par Gründ, Françoise. Direction : Chérif Khaznadar. En couverture, dessin original de Françoise Gründ. Montage : Translab. Réalisation : groupe media international.
Grigoris Kapsalis l'animateur du groupe, est un musicien hors-pair. Clarinettiste virtuose, il sait exploiter à bon escient et avec une remarquable finesse toutes les ressources de son instrument : traits de vélocité, changements de registre, glissandi. Il est aussi un merveilleux chanteur, à la voix profonde, un peu rauque mais chaude et très expressive.
Record writer
Monique Desprez ; Pribislav Pitoeff
Last modification
Dec. 2, 2022, 11:39 a.m.
Archiver notes
J. Saadoune, 2022 : Description et métadonnées complétées dans la collection et les items depuis les informations recueillies sur le livret du disque.