Chine : Nan-kouan Vol.1, musique et chant courtois de la Chine du sud
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Schipper, Kristofer
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Description
Enregistrement Radio France réalisé les 20 et 21 octobre 1982 au studio 103, sous la direction artistique de Lin Chang-lun.
L'ensemble des artistes du Conservatoire Nan Sheng-She :
Tsai Hsiao-yueh : chanteuse et chef d'orchestre.
Tch'en Mei-o : chanteuse et luth.
Sou Jong-fa: chanteur, mandoline et percussion.
Tchang Hong-ming : Maître de luth.
Tch'en Yun : Maître de flûte et de hautbois.
Wou Kouen-jen : Maître de viole.
Weng Sieou-tang: chef d'orchestre.
Hsieh Yong-k'in : flûte et percussion.
Tsai Cheng-man : flûte.
Tch'en Sin-fa: mandoline et percussion.
Lin Chang-lun : direction artistique.
[Informations extraites du livret du disque, texte de Kristofer Schipper : ] "Pratiquement inconnu en Occident, en voie de disparition en Chine, le Nan-kouan ou "Style du Sud" est une des très rares musiques anciennes authentiques qui ait survécu aux profondes transformations de la culture chinoise depuis un siècle.
L'origine du Nan-kouan se situe sans doute dans la musique de cour, poèmes chantés et danses, de l'époque Song (960-1278). Mais l'actuel Nan-kouan s'est développé dans le Sud de la province du Fukien, dans la ville de Ts'iuan-tcheou, décrite par Marco Polo comme une des plus belles cités de son temps.
Des recherches récentes par le Professeur Piet van der Loon de l'Université d'Oxford ont permis de découvrir un recueil de ballades Nankouan provenant de cette région et daté de 1612 qui est tout à fait similaire à ceux d'aujourd'hui. Le Nan-kouan dans sa forme actuelle existe donc depuis au moins le XVI° siècle (époque Ming) et c'est par une tradition ininterrompue depuis cette époque que le Nan-kouan s'est perpétué jusqu'à ce jour.
La forme fondamentale du Nan-kouan est la ballade k'iu. Expression pure d'amour courtois, ces ballades sont écrites en vers libres et en langue parlée. Leurs thèmes sont empruntés aux anciennes romances comme celle, célèbre entre toutes, de La chambre de l'ouest (Sisiang ki). Complaintes d'amour, évocations poétiques du ou de la bien-aimé(e), elles rappellent le répertoire de nos troubadours. L'orchestration également fait penser à celle de notre musique de l'automne du Moyen Age.
Les instruments
Le principal instrument du Nan-kouan est le luth piriforme (p'i-p'a; japonais : biwa) à 4 cordes, tenu diagonalement.
Le pi-p'a est doublé par un deuxième luth, à trois cordes (san-hien; jap. : samisen) qui joue la même partition à une octave plus bas.
Sur la trame mélodique donnée par les deux luths, la flûte droite (r'ong-siao) élabore des ornements. Elle est assistée dans ce rôle par la vielle à deux cordes (eul-hien).
La flûte est parfois renforcée (ou même remplacée) par le hautbois (yu-ai). Le chanteur (ou la chanteuse) dirige lui-même cet ensemble, en battant la mesure à l'aide de "tablettes métriques" (pai-pan) : plusieurs tablettes de bois dur rattachées par le haut.
La structure musicale
La simplicité naturelle des ballades cache le fait que leur composition repose sur un ensemble d'éléments hautement compliqués.
Voici les principaux
1) La gamme : 4 échelles pentatoniques, avec plusieurs notes intermédiaires.
2) Les mesures : elles sont au nombre de six, de 16/4 à 1/4. La richesse des rythmes et les transitions qui s'opèrent à l'intérieur d'un même morceau sont une des caractéristiques du Nan-kouan.
3) Les structures rythmiques l'alternance des structures rythmiques, ainsi que les accélérations et les ralentissements ont donné naissance à différents "modes cycliques" (kouen-men). Ce mode est donné pour chaque ballade. La nature exacte des kouen-men demeure actuellement un sujet de recherches.
4) Les structures prosodiques : comme l'on sait, le chinois est une langue à tons. Par conséquent, pour chanter, il faut que la mélodie épouse la prononciation des mots, ce qui rend la prosodie très importante. Il existe donc un certain nombre de modèles prosodiques (k'iu-pai) qui déterminent la structure de la composition littéraire.
La notation
Le Nan-kouan dispose d'un système de notations très complet où figurent, en plus de la mélodie, les indications relatives à tous les éléments énumérés plus haut. Les grands caractères donnent le texte du chant. En-dessous, des petits signes sur trois colonnes donnent, de droite à gauche, les mesures ( point noirs et petits ronds), les valeurs de chaque note et la mélodie (partition dup'i-p'a) (voir illustration).
La technique de la voix
Toutes les ballades sont exécutées par un seul chanteur ou une seule chanteuse, même là où le texte fait apparaître des éléments d'un dialogue, et sans distinction de rôles. La technique du chant doit beaucoup à la science du souffle et de la respiration pour laquelle la Chine est célèbre. La respiration vient de très bas (du "champ de cinabre", tan-t'ien) et les muscles du ventre sont sollicités pour pousser le souffle avec force vers le haut. Le son doit-être plein et pur, sans trémolo. Toutes les notes doivent être articulées distinctement, sans mélisme, car la voix se modèle sur la mélodie jouée par le p'i-p'a. Les différents sons (nasales, gutturales, dentales, etc.) expriment, selon un système de correspondances typiquement chinois, les différentes émotions. le chant se fait souvent bouche mi-close et certains sons demandent même une technique à la bouche fermée!
Le Nan-kouan, musique savante, subtile et élégante, n'est pas d'un abord facile. Il faut souvent plusieurs auditions avant de pouvoir pénétrer dans son univers. Un des moyens pour y parvenir est de suivre la structure rythmique en comptant les mesures.
Or les mesures sont marquées par les tablettes métriques (on entend un cliquetis bret et sec à des intervalles réguliers), sur le dernier temps d'une mesure. Comptez donc 4 sur le coup des tablettes, puis...1...2...3... Attention, certaines mesures sont fort longues, ne comportant pas moins de 16 temps!
Pour ce premier disque, nous avons choisi un ensemble de ballades chantées sur différents thèmes.
Le voyage du Nan-sheng she
Le Nan-kouan a été introduit pour la première fois en Occident, grâce à l'invitation faite par Radio France à l'un des derniers ensembles de musique Nan-kouan qui survivent aujourd'hui, à savoir : le Conservatoire Nan-sheng she du Temple de la Grande Paix à Taiwan. Ce conservatoire est une association libre, non-gouvernementale, de musiciens amateurs (la tradition de Nan-kouan proscrit sa pratique par des professionnels). Le conservatoire est patronné, comme il est coutumier, par une organisation religieuse locale (une corporation marchande) et domicilié dans le temple de celle-ci.
Fondé en 1898 par un maître nommé Tsiang Ki-seu venu de la ville de Ts'iuan-tcheou, le Nan-sheng she perpétue aujourd'hui une tradition du Nan-kouan parfaitement authentique tant du point de vue artistique que du point de vue - non moins important à certains égards - égards - religieux et social.
L'ensemble venu en Europe aux mois d'octobre et de novembre 1982 compta 12 musiciens. Il a donné un grand concert en direct sur France Musique le 22 octobre à la Maison des Cultures du Monde, à Paris, de 10 heures du soir à 6 heures du matin!
D'autres concerts eurent lieu, grâce à la coopération qui existe entre les départements de musique traditionnelle de Radio France, de la B.R.T. (Belgische Radio en Televisie) et la Westdeutscher Rundfunk (Cologne) et leurs directeurs respectifs : Pierre Toureille, Herman Vuylsteke et Jan Reichow, à Bruxelles et à Cologne. Sans cette coopération, la réalisation de cette tournée n'aurait pu être envisagée. Les prises de son réalisées dans ces différents centres radiophoniques ont permis d'enregistrer une partie importante du répertoire Nan-kouan.
Tsai Hsiao-yüeh
Le conservatoire du Nan-sheng-she compte parmi ses membres une chanteuse tout à fait remarquable en la personne de Madame Tsai Hsiao-yüeh. Sa technique de chant se situe dans la plus pure tradition du Nan-kouan : strictement disciplinée et
pourtant pleine d'expression, dotée d'un registre très étendu, sa voix reste très limpide même dans les notes plus basses. A dix-neuf ans, elle fut une des chanteuses les plus célèbres à Taiwan et en Asie du Sud-Est. Après son mariage, ses obligations familiales l'empêchèrent de chanter pendant quinze ans, mais sa voix n'a rien perdu de sa splendeur d'antan. Elle maîtrise un vaste répertoire de ballades dont elle est une interprète accomplie. Par exemple, lors de l'enregistrement de ce disque à Radio France, elle chanta deux fois de suite "Le vent dans les platanes". Malgré le schéma rythmique compliqué de cette ballade, le temps de l'exécution fut le même (15'05) dans les deux cas à la seconde près."
Titre d'enregistrement:
1. Le vent dans les platanes (Fong lo wou-t'ong) 15'07
2. Le rendez-vous (Kong kiun touan-yu) 5'34
3. Froid est l'hiver (Tong-t'ien han) 6'10
4. Affligé est mon cour (Sin-t'eou men ts'iao-ts'iao) 6'40
5. Le procès (Kaota-jen) 16'46
Ballades chantées par Tsai Hsiao-yüeh avec l'ensemble du Nan-sheng-she